2019 : La sélection dans le monde académique : pratiques, imaginaire et rationalité

Présentation du colloque

De Parcoursup aux frais d’inscription, en passant par les concours et les financements sur projet, les mécanismes de sélection dans le monde académique sont multiples et omniprésents et leurs justifications variées, entre contraintes financières et promotion de l’excellence. La sélection semble découler naturellement d’une compétition inévitable pour une ressource limitée. L’organisation du monde académique et ses évolutions ne doivent-elles s’interpréter que comme un système de mise en compétition et de procédures de sélection ? Les procédures de sélection sont-elles neutres ou produisent-elles un tri orienté et des normes cachées sous couvert d’égalité de traitement ? D’où viennent les catégories et les critères qui fondent l’apparente légitimité de nos évaluations, de nos concours et de nos hiérarchies ?

A travers des analyses historiques, sociologiques, économiques et philosophiques des différentes dimensions du monde académique, nous essayerons de comprendre ce qui relève de contraintes, de choix rationnels ou de la colonisation de notre imaginaire par des constructions sociotechniques (algorithmes, règles budgétaires, indicateurs quantitatifs, etc.).

Après avoir questionné la notion de sélection, dans plusieurs domaines et du point de vue de plusieurs disciplines lors de séminaires itinérants en biologie, en exploration spatiale, en informatique, en sciences de l’éducation, en science et techniques des activités physiques et sportives durant l’année 2018-2019, nous proposons lors de ce colloque de nous interroger sur la manière dont la sélection influence nos organisations et nos activités professionnelles.


Programme détaillé et vidéos

9h Accueil des participants

9h15 – 9h35 Allocutions d’accueil

  • Alain SARFATI, président de l’Université Paris-Sud
  • Christine PAULIN, doyen de la Faculté des Sciences d’Orsay
  • Julien GARGANI, directeur du Centre d’Alembert

Animateur : Jean-Louis MARTINAND

9h35 – 10h15
Philippe LÉGÉ, CRIISEA, Université de Picardie 
Les analogies entre concurrence économique et sélection naturelle dans les pensées libérales 

L’objet de cette communication est d’exposer la façon dont les philosophies évolutionnistes de Herbert Spencer (1820-1903) et de Friedrich Hayek (1899-1992) justifient la concurrence économique. En étudiant les analogies entre le biologique et le social ainsi que l’usage du concept de « sélection » dans la pensée de Hayek, nous
montrerons que celle-ci contient des résurgences du « darwinisme social » spencérien. Cela nous conduira à nous interroger sur le sort que le libéralisme hayékien réserve aux perdants de « l’ordre de marché ».


10h15 – 10h55
Pierre COURTIOUX, directeur de recherche à l’EDHEC Business School et chercheur-associé au Centre d’Économie de la Sorbonne (CNRS – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
Sélection par l’argent, sélection par l’échec : un regard économique sur l’Université

L’intervention vise à présenter un cadre économique d’analyse des bénéfices de la diplomation et à préciser la manière dont il peut éclairer deux questions d’actualité sur la sélection à l’Université. La première : l’augmentation ou la mise en place de frais d’inscription conduit-elle nécessairement à une « sélection par l’argent » des étudiants en écartant les étudiants issus de milieux sociaux modestes ? La seconde : « la sélection par l’échec » que constituent, de fait, les taux élevés de redoublement et d’abandon en premier cycle, est-elle couteuse pour la société ou au contraire bénéfique en maintenant les jeunes en formation même si ces derniers n’obtiennent pas de diplôme in fine ?

L’intervention présentera les concepts de rendements privés, rendements fiscaux et autres rendements publics (externalités) de l’éducation. Le niveau de coût d’opportunité des formations dans le supérieur, et son importance relative par rapports aux coûts additionnels (droits d’inscription, etc.) permet d’expliquer le lien faible observé dans divers pays entre suppression des droits d’inscription et « démocratisation de l’enseignement supérieur ». Par ailleurs, les évaluations économiques disponibles suggèrent qu’en France la « sélection par l’échec » réduit le bénéfice social des diplômes de licence d’environ 85%.


Questions du public


Animatrice : Hélène GISPERT

11h10 – 11h50
Sophie ORANGE, maître de conférences en sociologie à l’Université de Nantes (CENS) et membre junior de l’IUF
La « nouvelle » gestion des risques scolaires à l’Université : sélection, prédiction, responsabilisation 

La gestion des risques scolaires qui sert de principe aux réformes récentes de l’enseignement supérieur conduit à cibler des populations et à gérer leur flux plutôt que de chercher les moyens (matériels, humains, pédagogiques) de la réussite du plus grand nombre d’étudiants. En cela, les nouvelles modalités d’orientation vers l’enseignement supérieur via Parcoursup rejoignent pleinement les évolutions analysées par Robert Castel dans le champ de la santé mentale et du travail social. Cette nouvelle gestion des bacheliers se veut à la fois prédictive et préventive et assigne toujours plus des places scolaires spécifiques en fonction des origines sociales.


11h50 – 12h30
Élise LEMERCIER, maîtresse de conférences en sociologie, Laboratoire Dysolab, Université de Rouen Normandie
Lutter contre le « plafond de verre » dans le monde académique : l’enjeu de la parité dans les procédures de recrutement

L’idée selon laquelle les universités françaises ne sont pas productrices d’inégalités de genre a longtemps prévalu, protégées en cela par leur fonctionnement institutionnel (recrutement par concours, procédures d’avancement de carrière, etc.). Depuis les années 1980, le secteur privé a été incité à comparer la situation salariale des femmes et des hommes mais il faudra attendre 2013 pour rendre la procédure obligatoire dans la fonction publique. Les années 2000 ont constitué un tournant dans la mobilisation contre les inégalités de genre au sein du monde académique. Treize ans après la première loi introduisant la parité dans les élections politiques, la loi du 22 juillet 2013 relative à l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) élargit cette mesure aux instances où sont administrées les universités. En outre, la loi Sauvadet de 2012 introduit des quotas sexués dans les comités et jurys de recrutement dans la fonction publique, et sa mise en œuvre pour le recrutement des enseignants-chercheurs a été défini par un décret de mars 2014.

Si le principe de l’amélioration de la place des femmes à l’université est rarement remis en question publiquement, les quotas de femmes font débats dans les coulisses. Les arguments opposés insistent sur l’insuffisance d’un « vivier de femmes », la complexification – parfois indiscutable – d’une double voire triple parité et les résistances s’intensifient pour les espaces de pouvoir les plus importants. Cette communication éclairera alors les raisons de cette acceptation en demi-teinte de la parité dans le monde académique.


Questions du public


Animatrice : Annick JACQ

14h00 – 14h40
Pierre FRANÇOIS, directeur de recherche au CNRS, Centre de sociologie des organisations/Sciences Po et Nicolas BERKOUK, doctorant en mathématiques à l’INRIA Saclay/École polytechnique
Neutralité des concours et production des élites (le cas de Polytechnique)

La composition sociale des écoles d’élite, qui réservent une place très importante aux étudiants issus de la classe dominante, est souvent imputée aux tournois successifs qui trient scolairement et socialement les élèves le long de leur parcours scolaire, très en amont du concours. En se fondant sur le cas particulier de l’École polytechnique, leurs auteurs montrent que le concours fonctionne lui aussi comme un dispositif de tri social, qui accroît encore les inégalités qui se sont constituées en son amont. En s’appuyant sur la distinction entre les dispositifs d’accès qui relèvent de la concurrence et ceux qui relèvent du parrainage, ils montrent que cette absence de neutralité du concours renvoie à la combinaison des deux logiques au cœur même des épreuves de recrutement, en particulier des épreuves de mathématiques.


14h40 – 15h20
Hugues BERSINI, professeur d’informatique et directeur du laboratoire d’Intelligence Artificielle, Université Libre de Bruxelles
L’algorithme Parcoursup et l’accroissement des inégalités 

Le problème d’affectation des écoliers/étudiants dans les établissements scolaires/universitaires a gagné en complexité par la multiplication des demandes et la raréfaction des places dans les établissements (surtout les plus prisés). Dès lors, une automation de ces affectations par voie algorithmique semble plus que bienvenue. Il demeure toutefois très important d’interroger la non-neutralité idéologique de ces algorithmes et l’amplification même de ces effets par leur redoutable efficacité.
Ces algorithmes d’affection dérivent tous de la version originale de Gale-Shapley proposée dès les années soixante, et permettant d’apparier deux catégories de demandeurs de la manière la plus optimale possible : toute autre association rendrait insatisfait l’un de ces demandeurs. Or, les économistes à l’origine de ces algorithmes savent depuis très longtemps que ce type d’optimum, dit de Pareto, ne s’aligne pas toujours avec les objectifs d’égalité. Ainsi, dans le cas dit des « mariages stables », visant à l’appariement « optimal » des hommes et des femmes, si les premiers choix des femmes et des hommes sont très différents, l’optimum de Pareto rendra tous les acteurs également satisfaits. Ce ne sera plus du tout le cas si les hommes et les femmes portent
respectivement leur dévolu sur les mêmes partenaires potentiels : les plus prisés seront ravis de s’accoupler alors que moins désirés, y seront forcés. C’est aussi ce qui se passe pour l’algorithme Parcoursup qui a tendance à favoriser l’inscription des meilleurs étudiants dans les meilleures universités, sa redoutable efficacité ayant pour conséquence ici d’accroître plus encore des inégalités déjà très largement dénoncées dans le système d’enseignement français.



Animateurs : Annick JACQ et Julien GARGANI

15h35 – 16h15
David FLACHER professeur à l’Université Technologique de Compiègne et membre du collectif de recherche Approches Critiques et Interdisciplinaires des Dynamiques de l’Enseignement Supérieur (acides.hypotheses.org)
Le financement de l’enseignement supérieur, outils de sélection ou d’émancipation ? 

En augmentant les frais d’inscription à l’Université pour les étudiants extra-communautaires à la rentrée 2019, le gouvernement a rendu visible les enjeux autour du financement de l’enseignement supérieur. Depuis une quinzaine d’années pour la France, davantage à l’international, des économistes promeuvent les frais d’inscription comme outils de sélection à l’entrée dans le supérieur. Sélection des étudiants, mais aussi financiarisation de l’enseignement supérieur puisque ces frais seraient financés à crédit et pensés comme un investissement en capital humain.
A rebours de ce schéma de financement par capitalisation, nous proposons un mode de financement par répartition, par analogie avec celui des retraites, qui permettent l’accès à un supérieur de qualité pour le plus grand nombre, dans une dynamique émancipatrice plutôt que d’asservissement par la dette étudiante. 


16h15 – 17h00
Table ronde : La sélection à l’Université Paris-Saclay

  • Isabelle DEMACHY, professeure de chimie physique, Vice-Présidente en charge des Transformations Pédagogiques de l’Université Paris-Sud
  • Christine DILLMANN, professeure de biomathématiques à l’Université Paris-Sud, Département de Biologie, co-responsable de la double-licence biologie et mathématiques
  • Morgane LOCKER, maître de conférences en biologie, unité de rattachement NeuroPsi, responsable du parcours sélectif Bio-Concours de la Licence Sciences de la Vie de 2010 à 2017, responsable de la Licence Sciences de la vie depuis 2016, Université Paris-Sud
  • Cécile QUANTIN, professeure de sciences du sol, Université Paris-Sud

COMITÉ D’ORGANISATION

  • Dominique CHARRIER, enseignant-chercheur UFR STAPS, Université Paris-Sud
  • Christine EISENBEIS, directrice de recherche, LRI, Université Paris-Sud
  • Julien GARGANI, enseignant-chercheur en Sciences de la Terre, GEOPS, Université Paris-Sud, directeur du Centre d’Alembert
  • Gianni GIARDINO, enseignant-chercheur en Physique, CHCSC, Université Versailles Saint-Quentin en Yvelines
  • Hélène GISPERT, enseignante‐chercheuse émérite en Histoire des Sciences, EST, Université Paris-Sud
  • Anne-Sophie GODFROY, enseignante-chercheuse en philosophie, République des Savoirs (USR 3608 ENS, CNRS, Collège de France), Université Paris Est Créteil
  • Annick JACQ, chercheuse en Microbiologie, CNRS, I2BC, Université Paris‐Sud
  • Alexia JOLIVET, enseignante‐chercheuse en Sciences de l’Information et de la Communication, directrice adjointe du Centre d’Alembert, EST, Université Paris‐Sud
  • Jean-Louis MARTINAND, enseignant‐chercheur émérite en Didactique, président du Centre d’Alembert, ENS Cachan
  • Pierre NICOLAS, chercheur, unité MaIAGE, INRA
  • Oliver NÜSSE, enseignant-chercheur, Laboratoire de Chimie Physique d’Orsay, Université Paris-Sud
  • Denis ULLMO, chercheur, Laboratoire de Physique Théorique et Modèles Statistiques, Université Paris-Sud
  • Jean-Claude VIAL, chercheur CNRS émérite en Astrophysique, IAS, Université Paris-Sud