2022 : Promesses des sciences et sciences des promesses

9 juin 2022
9h – 17h
Université Paris-Saclay, Orsay

338, rue du Doyen André Guinier, Orsay
Salle de conférences (1er étage)


Renseignements et inscriptions :
centre.dalembert@universite-paris-saclay.fr

Alors que les peurs et les crises se succèdent, la nécessité de réenchanter le monde est souvent invoquée. Les grands récits semblent avoir été abandonnés au siècle dernier et de nouvelles utopies seraient une nécessité. La recherche scientifique n’est pas avare de projets susceptibles de s’inscrire dans la dynamique contemporaine des promesses et notamment des promesses technoscientifiques qui produiront mieux, plus vite, plus longtemps, pour tous, pour moins cher, de façon plus respectueuse et pour la première fois, des objets révolutionnaires ou des solutions inédites. Les utopies technoscientifiques sont à la conquête des imaginaires.

Oscillant entre volonté de répondre aux attentes d’un côté et nécessité de captation des ressources de l’autre, les scientifiques essaient de monnayer leurs services, de justifier leur existence, de trouver un sens à leurs activités, en se rendant « utiles ». L’accès difficile aux ressources et la compétition pour y accéder conduisent à surenchérir sur les promesses. La place des promesses technoscientifiques et les trajectoires qu’elles imposent à nos sociétés (financement, risques, mode de vie), en court-circuitant le temps de la co-construction patiente des termes du débat et de ses enjeux, posent question.  

Quelles conséquences ont les promesses scientifiques sur l’activité scientifique, sur nos sociétés et sur les relations sciences/société ? Comment la politique et l’administration de la science inscrivent la promesse dans les pratiques des chercheurs ?


PROGRAMME

9h00-9h15

Allocutions d’ouverture

Thierry DORÉ, Vice-Président Recherche et Valorisation, Université Paris-Saclay
Emmanuel TRIZAC, Vice-doyen Recherche de la Faculté des Sciences d’Orsay
Julien GARGANI, Directeur du Centre d’Alembert, Université Paris-Saclay

9h15-10h30

Qu’est-ce que les promesses technoscientifiques et comment fonctionnent-elles ?

Animateur : Philippe Brunet, Professeur de sociologie, Laboratoire interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés (LISIS), Université Gustave Eiffel

Pierre-Benoit JOLY, LISIS et Centre INRAE Occitanie-Toulouse
Promesses technoscientifiques et construction des futurs : les leçons d’une exploration dans le passé

Des études antérieures ont montré que les promesses technoscientifiques jouent un rôle clé dans le processus d’émergence des nouvelles technologies. Le rôle des promesses dans l’émergence des anciennes technologies lorsqu’elles étaient jeunes a cependant été négligé. Afin de combler cette lacune, nous nous appuyons sur le concept de « régime d’historicité » défini comme une texture propre à chaque société qui conditionne l’expérience du temps et les rapports entre le présent, le passé et l’avenir. Nous montrons que la manière dont les promesses technoscientifiques s’adaptent aux régimes d’historicité est cruciale. En particulier, nous avançons que les promesses du régime présentiste utilisant le cadre moderniste de l’innovation (référence au progrès et à la destruction créative) posent de nombreux problèmes. Au contraire, la construction d’horizons d’espérance peut reposer sur des promesses basées sur des processus d’expérimentation collective.

Pierre-Benoit Joly est directeur de recherche à INRAE, Président du centre Occitanie-Toulouse et membre du LISIS, qu’il a dirigé de 2015 à 2019. Spécialiste d’études des innovations et d’études des sciences et des techniques, il travaille sur les transformations des interactions sciences-sociétés et sur les dimensions épistémologiques et politiques des formes d’organisation de la recherche.

Cette conférence s’appuie sur un article en collaboration avec Claire Le Renard (Joly, P.B., Le Renard, C. 2021. “The past futures of techno-scientific promises”, Science and Public Policy, 48 (6), 900-910.


Bernadette BENSAUDE-VINCENT, Philosophe des sciences et des techniques, professeure émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre de l’Académie des technologies.
La recherche peut-elle tenir des promesses ?

Faire des promesses est une habitude chère aux scientifiques. Cette pratique qui vise à inspirer confiance les engage-t-elle vraiment ? Les chercheurs peuvent-ils, doivent-ils tenir leurs promesses ? En effet une recherche est toujours une aventure : i) on ne sait pas ce qu’on cherche et ii) on ne trouve pas forcément ce qu’on cherche (sérendipité). Les recherches infructueuses relèvent donc du régime normal en science si bien que la majorité des promesses ne seront pas tenues. Alors pourquoi tant de promesses au risque de créer déception, frustration, voire une perte de confiance dans la science ? On envisagera une ou deux réponses à cette question.

Bernadette Bensaude-Vincent, philosophe des sciences et des techniques est professeure émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre de l’Académie des technologies.

Sa recherche porte sur les technosciences et leur impact sur la société.

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10h45-12h00

Économie de la promesse

Animateur : Julien Gargani, UMR GEOPS/IPSL, Directeur du Centre d’Alembert

Valérie BOISVERT, Professeure d’économie écologique à l’Université de Lausanne, Institut de géographie et de durabilité, Faculté des Géosciences et de l’Environnement
Sauver les forêts tropicales en les exploitant ? Les promesses des instruments de marché au service de la conservation de la biodiversité

Depuis une vingtaine d’années, les politiques de conservation de la biodiversité sont traversées par des promesses de protection de la nature à travers sa valorisation économique, soutenues par des références à la théorie économique. La publicité faite autour d’expériences pilotes, présentées comme annonciatrices d’un développement imminent des marchés, peine cependant à masquer l’absence de diffusion des modèles préconisés et leurs impacts écologiques peu concluants. L’importance des agencements dits marchands est discursive et symbolique au moins autant que matérielle. Pour autant, elle n’est pas sans effet.

De quelle nature sont effectivement les promesses de conciliation entre valorisation économique et conservation de la biodiversité ? Comment sont-elles formulées et déployées ? Quels effets produisent-elles au-delà de ce qu’elles affirment ? Sur quels types de savoirs et d’approches scientifiques ces promesses s’appuient-elles et quels sont leurs impacts sur la production de connaissances ? Ces questions seront abordées à partir d’exemples liés à la valorisation économique des plantes.


Brice LAURENT, CSI, Mines Paris – PSL – Julien MERLIN
L’ingénierie de la promesse. Investissement, anticipation, et conflits de l’exploration minière.

L’extraction minière fait l’objet de vives controverses, que l’intérêt renouvelé pour les ressources minérales à l’heure des transitions attise. Cette intervention s’intéresse à l’exploration minière et à l’intégration des promesses dans la mécanique des projets miniers. À partir d’une enquête sur le programme de renouveau minier français, nous mettons en évidence l’intérêt d’étudier l’ingénierie de la promesse pour comprendre la politique de l’extraction. Cette notion nous permet de rendre compte de l’imbrication de la fabrique des promesses dans la conduite technique et économique de projets qui reposent sur l’investissement international, mais aussi du travail d’articulation entre des publics variés (et aux attentes souvent incompatibles) à qui ces promesses s’adressent. À partir de l’analyse des tensions que rencontre l’ingénierie de la promesse, nous montrons que l’exploration minière est un terrain d’affrontements entre les constructions spatiales et temporelles de l’investissement et celles de l’anticipation des conséquences de long terme de l’extraction.

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12h-12h30

Causes et conséquences des promesses – réflexivité 
TABLE RONDE « Pratiques et réflexivité »

Animateur : Julien Gargani

Annick JACQ, Directrice de recherche CNRS émérite à l’UR « Études sur les Sciences et les Techniques », Université Paris-Saclay – Ancienne microbiologiste à l’Institut pour la Biologie Intégrative de la Cellule (I2BC), Université Paris-Saclay (jusqu’en 2020).

Guillaume ROUX, Enseignant-Chercheur au Laboratoire de Physique Théorique et Modèles Statistiques, CNRS & Université Paris-Saclay. Physicien théoricien en physique de la matière condensée et en physique quantique – Participant à l’Ecopolien et engagé sur les réflexions sciences et sociétés.

Jean-Claude VIAL, Directeur de Recherche CNRS (en retraite) à l’Institut d’Astrophysique Spatiale, Orsay. Sujets de recherche : protubérances, éruptions, chromosphère et couronne solaires. Impliqué dans diverses missions spatiales depuis le début des années 70 : à des titres divers depuis le rôle de co-proposant, d’instrumentaliste, de planificateur des observations et d’opérateur, de traiteur de données et d’interpréteur des observations via la modélisation (notamment en transfert de rayonnement hors équilibre thermodynamique local). Aujourd’hui impliqué dans la mission IRIS de la NASA et deux instruments sur le satellite Solar Orbiter de l’ASE. Responsabilités dans divers comités INSU, CNES, ASE et notamment la section Astronomie et Système Solaire du CNRS (en tant que président).

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14h15-15h45

Causes et conséquences des promesses – réflexivité : suite

Delphine OLIVIER, Docteure en philosophie, Université de Tours
Quand la « médecine de demain » se fait attendre.  Généalogie critique d’une promesse médicale dans le domaine de la prévention.

Les chantres contemporains de la médecine « prédictive », ou encore de la « médecine des 4P » voire des « 5P », promettent de bouleverser les pratiques préventives en faisant advenir une nouvelle science de la santé, laquelle sera individualisée et permettra d’anticiper les moindres petites déviations de l’état de santé pour les corriger à temps. Cette promesse peut être réinscrite dans une généalogie plus longue : dès la fin du 19e siècle, les compagnies d’assurance-vie américaines envisagent de renverser les fondements de la médecine préventive à l’aide d’examens périodiques des individus sains.  

L’exposé se donne deux objectifs. Il s’agira d’abord de présenter les points saillants de cette promesse de refondation de la science préventive ainsi que de proposer un bref repérage de ses diverses manifestations au cours des 20e et 21e siècles. Il s’agira ensuite de commenter la démarche qui a été adoptée pour appréhender cette promesse, et de montrer comment des emprunts à l’épistémologie historique ont été féconds pour surmonter les difficultés posées par la nature prospective de ces discours médicaux.  

Delphine Olivier est docteure en philosophie. Ses recherches doctorales ont porté sur des discours médicaux promettant de révolutionner les pratiques préventives à l’aide d’une nouvelle science de la santé. Cette enquête généalogique et critique a donné lieu à la publication d’un livre en octobre dernier. Elle enseigne actuellement dans le secondaire, et intervient régulièrement à l’Université de Tours auprès d’étudiants en philosophie et d’étudiants en médecine.  


Sarah CARVALLO, Université de Franche Comté, Logiques de l’agir EA 2274 – IHRIM UMR 5317
L’éthique de la recherche : une promesse de la promesse ?

La science se trouve actuellement confrontée à deux griefs. Premièrement, elle génère des externalités négatives graves qui mettent en danger nos sociétés par exemple dans les domaines de l’environnement ou de la santé, mais aussi dans le champ de l’économie ou du respect de la vie privée. Deuxièmement, partout à travers le monde et dans toutes les disciplines, des enquêtes prouvent que des chercheurs commettent des fautes graves ou banales qui remettent en cause la nature scientifique de leur travail. Ces deux aspects ébranlent la confiance que les citoyens confèrent à la science et aux scientifiques. Comme l’a montré Van den Hoonaard (The seduction of ethics, 2011), il y a actuellement une séduction de l’éthique qui vise à répondre à un contexte de panique morale, de généralisation de l’économie du savoir, d’une culture juridique d’imputabilité et de la peur des pertes en réputation de la part des institutions. L’éthique apparaît alors comme la réponse capable de réguler la science et de justifier la confiance des citoyens envers la recherche selon deux dimensions. D’une part, les différentes éthiques appliquées (en nano, bio, info, cogno-technologies, animale, environnementale, etc.) visent à assumer les conséquences potentielles ou réelles de la science au sein de chaque région. D’autre part, l’éthique de la recherche vise à garantir de façon transversale la légitimité de cette confiance en proposant une nouvelle forme de régulation du travail scientifique à travers trois modalités : la réflexivité des acteurs de la recherche, des procédures et réglementations, l’évaluation externe et interne de la qualité éthique de la recherche. Promesse de la promesse, l’éthique de la recherche doit garantir la promesse que « le progrès scientifique et technologique et l’innovation sous toutes ses formes [nous aident] à mieux vivre ensemble sur la terre. » (Caracostas et Muldur, La société, ultime frontière, 1998, p. 203) Or l’éthique de la recherche se trouve à son tour soupçonnée de minimiser les tensions entre performance, impartialité et transparence, d’ajouter des contraintes réglementaires contre-productives à la recherche, de servir d’organe de contrôle ou de pouvoir, de cautionner ou censurer certaines recherches en contre carrant la liberté de la recherche. Quelle instance garantira la valeur éthique de l’éthique de la recherche ? Comment répondre au risque d’une régression à l’infini ?

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15h45-16h15

TABLE RONDE « Évaluer les promesses ? »

Animatrice : Hélène Gispert, Professeur émérite en Histoire des Sciences,
Université Paris-Saclay

Alan KIRMAN, Directeur d’études à l’EHESS, Professeur émérite à Aix-Marseille Université

Serge COHEN, Chargé de recherche au CNRS, Ipanema, membre du comité de pilotage du DIM MAP (Domaine d’intérêt majeur Matériaux Anciens et Patrimoniaux

Anne LIEUTAUD, Responsable scientifique du Département Environnements, Ecosystèmes et Ressources Biologiques (EERB) de l’ANR

Conclusion


Comité scientifique

Hélène AUBRY, professeure de droit privé, Faculté Jean Monnet, Université Paris-Saclay

Philippe BRUNET, professeur de sociologie, Laboratoire Interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés (LISIS), Université Gustave Eiffel

Christine EISENBEIS, directrice de recherche, Inria

Julien GARGANI, enseignant-chercheur en Sciences de la Terre, GEOPS, Université Paris-Saclay, directeur du Centre d’Alembert

Hélène GISPERT, professeure émérite en Histoire des Sciences, EST Études sur les Sciences et les Techniques, Université Paris-Saclay

Anne-Sophie GODFROY, enseignante-chercheuse en philosophie, Université Paris Est Créteil, membre de laboratoire République des Savoirs (UAR 3608, ENS, CNRS et Collège de France). 

Annick JACQ, microbiologiste, directrice de recherche CNRS émérite, UR EST, Université Paris‐Saclay

Yves LANGEVIN, astrophysicien,ancien directeur de  l’Institut d’astrophysique Spatiale, Université Paris-Saclay / CNRS

Jean-Louis MARTINAND, professeur émérite en Didactique, président du Centre d’Alembert, ENS Cachan

Pierre NICOLAS, chercheur, unité MaIAGE, INRAE

Oliver NÜSSE, professeur, Institut de Chimie Physique, Université Paris-Saclay

Denis ULLMO, chercheur, Laboratoire de Physique Théorique et Modèles Statistiques, Université Paris-Saclay, directeur de l’Institut Pascal