Séminaire du 8 avril 2021

Séance 7 :
Qu’est-ce que valider un fait en économie ? En quoi la théorie est-elle utile dans ce but ?

Jeudi 8 avril 2021
14h-15h30


En visioconférence
https://eu.bbcollab.com/guest/68d2350c45e44b3c82146a9cc5795b29

Contact et informations :
centre.dalembert@universite-paris-saclay.fr

Intervenantes :

Ariane Dupont-Kieffer
Historienne de la pensée économique et économiste des transports, Université Paris 1. Ariane Dupont-Kieffer, après une thèse sur l’histoire de l’économétrie et de la mesure, se spécialise sur l’analyse de la mobilité durable et la définition des politiques de promotion d’un transport moins émetteur en carbone et en polluants locaux. Elle a travaillé pendant 10 ans sur les questions de risque routier et de mobilité durable et inclusive au sein du DEST à l’Ifsttar. Elle a rejoint le laboratoire PHARE à l’université Paris 1 en Septembre 2014 pour comprendre la place des questions de justice et d’équité dans la définition et la mise en place des politiques économiques. Elle a été vice-présidente de l’action COST Action No. 1209 « Transport Equity Assessment ». Elle est un membre actif du Comité « Women’s issues in Transportation » du Transport Research Board des National Académies. Elle a été doyenne de l’Ecole d’Economie de la Sorbonne (Unité de formation et de Recherche) d’Economie à l’Université Paris 1 depuis de septembre 2015 à septembre 2020.

Quels rapports la théorie économique entretient-elle avec les faits ?

Résumé : L’objet de cette présentation est de suivre comment, à partir de l’entre-deux-guerres, les recherches économiques opèrent une conversion empirique en référence à une conception particulière de la démarche de la connaissance qui établit comme critère de scientificité le recours aux faits. La construction des faits économiques passe par l’observation. La description précise permet les comparaisons dans le temps et dans l’espace. Une construction plus élaborée des faits passe par les expériences en laboratoire et la mise en place de routine d’observation.

Le premier pas de Ragnar Frisch, fondateur de l’économétrie et premier prix Nobel en Economie, a ainsi eu des conséquences importantes après la seconde guerre mondiale au point que certains y ont vu un véritable « tournant empirique » en économie (Cherrier et Backhouse, 2017). Selon cette interprétation, les économistes se sont progressivement détournés des questions théoriques pour donner une place de plus en plus grande aux analyses empiriques. Ce faisant, ils ont multiplié les méthodes pour disposer de données et les traiter : développement de l’économétrie sur données d’enquête, recours à des expériences en laboratoire, recours à des expériences contrôlées, étude des données historiques autour de la cliométrie, fondation de la méthode du récit analytique etc.

Ces différents types de collectes de données supposent des opérations de codage, d’établissement de conventions et de définitions qui créent un espace de commensurabilité[1]. C’est dans cet espace que l’économiste évolue et se repère. L’objectivité de son travail s’appuie alors sur sa capacité à produire des mesures des phénomènes économiques et sociaux. Cette quête d’objectivité répond plus fondamentalement à une quête du « vrai » et de lois régissant le monde, en se dégageant de toute explication métaphysique.
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[1] Sur cette question, voir Desrosières (1993). Alain Desrosières est l’un des grands historiens français des statistiques et son ouvrage La Politique des grands nombres, reste la référence sur l’histoire de la construction des statistiques modernes.


Agnès Labrousse
Maîtresse de conférences HDR en économie à l’Université de Picardie Jules Verne et chercheuse au CRIISEA depuis 2004. Elle enseigne également à l’EHESS depuis 2008. Elle est vice-présidente de l’Association Française d’Economie Politique (AFEP). Ses travaux portent sur l’économie du développement et de la transformation post-socialiste, sur la régulation des secteurs pharmaceutiques et chimiques et, enfin, sur l’histoire de la pensée économique institutionnaliste et l’épistémologie de l’économie, notamment celle des expérimentations randomisées contrôlées.

De la biodiversité intellectuelle en économie. Pluralité des programmes de recherche et des rapports aux faits

Résumé : Cette présentation propose de mettre en lumière la pluralité des rapports aux faits dans la discipline économique depuis le 19e s. et ses enjeux. Si les contours des courants dominants et dominés (des « orthodoxies » et des « hétérodoxies ») sont très évolutifs, la discipline a longtemps été caractérisée par une importante diversité de programmes de recherche, de styles de raisonnement scientifique (Hacking), d’hypothèses de départ  et de rapports aux faits. Des démarches inductives, abductives ou hypothético-déductives ont ainsi pu prendre place, donnant lieu selon les moments à des formes de coexistence pacifique ou à d’intenses querelles de méthodes (Methodenstreit, controverse Measurement without theory etc.).

La présentation proposera tout d’abord un premier aperçu pédagogique de cette diversité depuis le 19e. Dans un deuxième temps, elle prendra appui sur l’exemple contemporain des expérimentations randomisées contrôlées (Duflo, Banerjee etc.), révélateur d’un nouveau tournant empirique (et expérimental) de l’économie mainstream. Elle pointera ce faisant le caractère illusoire d’une vision dépolitisée, purement objective de la construction des faits expérimentaux et de leur interprétation (sans pour autant sombrer dans de quelconques « raoulteries »). La conclusion mettra en perspective les enjeux d’un pluralisme intra-disciplinaire contrôlé 1) pour la production de connaissances économiques robustes et pertinentes (processus d’objectivation sociale) et 2), plus largement, ses enjeux comme condition de possibilité d’une discussion démocratique des politiques économiques.


Organisateurs :
Philippe Brunet, Professeur de sociologie, Laboratoire interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés (LISIS), UMR UGE, INRA, CNRS, Université Gustave Eiffel et
Julien Gargani,Directeur du Centre d’Alembert