Séminaire du 12 décembre 2012

Constituer des données scientifiques sensibles

Intervenants : Patrick GAUDRAY et Elsa SUPIOT

Patrick Gaudray, 
Directeur de Recherche au CNRS
Membre du Comité Consultatif National d’Éthique
Données scientifiques sensibles : qui possède quoi ? Entre pouvoir et illusions…

Présentation de P. Gaudray (pdf)

Résumé :
Le partage des connaissances est à la base du progrès scientifique. Il est conditionné par le partage des données de la science. C’est le sens même de la publication scientifique qui est un de ses meilleurs indicateurs de qualité. Or, le nombreux vertigineusement croissant de publications scientifiques s’accompagne d’un accroissement tout aussi vertigineux des données propriétaires, des données cachées, des données protégées. Le pouvoir (économique, mais pas seulement) qu’on veut associer aux données scientifiques n’est-il pas en train de leur enlever leur valeur d’objet de science, voire de sujet de science ?
On a ainsi pu prend récemment conscience de l’impact des données cachées dans l’appréhension sociétale des dangers possibles de l’utilisation des OGM. On pourra également discuter le cas des biobanques, grandes et petites, indispensables aux recherches moderne en biologie et santé, pivots de la recherche clinique, et dont le nombre et la dimension ont rapidement augmenté ces dernières années. Ces biobanques alimentent la médecine dite personnalisée qui a été comparée au Pays d’Oz des soins de santé, au monde merveilleux des tests génétiques qui vous arrivent par Internet ou une officine de quartier. C’est l’appel de l’Université de Californie à Berkeley pour que ses nouveaux étudiants se soumettent à des enquêtes génétiques sur les variants géniques qui participent au contrôle de l’alcoolémie ou d’autres intolérances. Mais c’est aussi le pays des règlements juridiques qui ont conduit l’université d’état d’Arizona à verser près d’un million de dollars à 41 membres de la tribu indienne des Havasupai pour utilisation non autorisée de matériel génétique, au-delà des termes de l’étude initialement prévue. Ces biobanques interrogent l’éthique à de nombreux niveaux : le consentement éclairé, la confidentialité (restriction de l’accès à l’information initiale, et dissociation permanente entre l’échantillon et les informations qui permettraient une identification individuelle), le retrait de la participation, le partage des avantages qui proviennent de la biobanque, la commercialisation, le partage des données entre les biobanques, et  plus généralement les questions de propriété et de gouvernance au niveau de la collaboration internationale.

Elsa Supiot
, Centre de recherche en droit des sciences et techniques, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Données scientifiques sensibles : intérêt individuel ou collectif ? Entre protection et circulation.

Présentation d’E. Supiot (pdf)

Résumé :
Les données dites « sensibles » occupent aujourd’hui une place prépondérante en recherche et se trouvent au cœur d’un conflit délicat d’intérêts. Protection de la vie privée des individus et de leur liberté, intérêts financiers majeurs sur le marché pharmaceutique, outil indispensable de découverte et d’innovation: les données sensibles soulèvent la délicate question de l’articulation d’une protection de ces données et de leur nécessaire circulation. Le droit, tant au niveau national qu’international, se propose d’assurer cette articulation. La réglementation qui en résulte n’est cependant pas exempte de critiques: entraves excessives apportées à la réalisation des projets de recherche, lacunes dans la protection des personnes dont les données sont impliquées, pour ne pas les citer. Dès lors, dépasser les limites d’un encadrement fondé sur la protection (et ses exceptions) pour réfléchir d’abord en termes d’utilisation et d’intérêts collectifs s’impose.

Animatrice de la séance :
Stéphanie LACOUR
, Chargée de recherche CNRS au Centre d’études sur la coopération juridique internationale (Cecoji), spécialiste du droit applicable aux sciences et aux technologies émergentes.